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L'homme dans un champ

ACITC (A-SHI-TSH)
Qui signifie « Avec » en anishinabemowin de Pikogan

Il y avait cette femme, cette grosse « sauvagesse » qui venait voir ma mère 2 fois par année. Elle arrivait. Son sac de cuir pendouillait à son côté gauche. Des heures durant, en discutant avec ma mère, elle lui concoctait des mélanges d’herbes qu’elle déposait par petits sachets sur la table. « Celui-ci sera pour toi à l’automne. L’autre c’est pour tes enfants. Celui-là c’est pour ton mari ». 

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Mon arrière-grand-mère maternelle était algonquine, Anishinabe algonquine de Kitigan Zibi, ma mère était descendante d’une famille de « sauvage » et moi j’étais de la 4e génération de la descendance de Philomène Brazeau. Philomène avait été chassée de sa communauté pour avoir épousé un blanc et rejetée des blancs parce qu’elle était une sauvagesse.

Je suis née au milieu des années 50 sur les terres de roches des Hautes-Laurentides. L’Ascension. Un petit village situé à 3 h 30 de route au nord de Montréal. À cette époque la vie y était plus dure que maintenant. Il n’y avait ni train, ni autobus, ni hôpital, ni système de santé. Et cette vieille sauvagesse, avec ses herbes minutieusement préparées, a aidé ma famille à survivre à des années très arides.e ne connaissais pas à l’époque le lien qui nous unissait, que j’étais de sa descendance directe. Je ne savais pas que je faisais partie d’elle, qu’elle faisait partie de nous. Ma grand-mère et ma mère ne nous ont jamais parlé de cette filiation qui faisait le déshonneur de notre famille. Nos racines Anishinabeg ont été occultées comme si elles n’avaient jamais existé. Le grand Silence. Pour ne faire aucun rapprochement avec une souche quelconque du  « sauvage » dans sa famille. Le Silence pour ne pas transmettre. Pour Oublier. Pour être blanc. Juste blanc. 

Mais cette femme, la sœur de ma grand-mère, elle, venait année après année, et ce, jusqu’à l’arrivée de l’assurance hospitalisation en 1961. À partir de ce moment, nous ne l’avons plus jamais revue.

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Je suis de celles qui, comme beaucoup au Québec et au Canada, sont métissées. Je suis habitée par le sentiment d’imposteur face à cette grande reconquête de la parole autochtone. En qui l’enfant métissé se reconnaît-il ? Appartient-il au blanc ou au « sauvage » ? Comment ces femmes qui ont été chassées ont-elles réussi à vivre entre deux cultures ? Comment ont-elles reconstruit leur identité et celle de leur descendance ? Jusqu’à quelle génération faisons-nous partie de la famille autochtone ? Quels liens pouvons-nous réclamer avec cette famille ? Avec Véronique, je souhaite étendre plus largement ma recherche et mon propos à celles à qui on a arraché les enfants pour les faire prisonniers d’une autre culture et à celles qui en sont revenues ; comment ont-elles pu survivre à cette coupure de lien et de transmission culturelle ? Et à d’autres femmes aussi. Celles qui ont été, et qui sont, des leaders dans leur communauté sans oublier d’aller vers les autres dont nous n’avons jamais entendu la voix. Pour chacune d’elles, qu’ont-elles à nous dire ? Comment les femmes se perçoivent-elles entre elles ? Quel regard portent-elles sur leur nation ? Comment voient-elles leur monde dans le monde ? Comment ? Quoi ?... D’autres questions viendront.

Il m’aura fallu attendre 68 ans pour me mettre en marche dans cette reconquête identitaire personnelle, mais collective aussi. Des liens ténus me lient encore à ma lignée maternelle Anishinabe algonquine de Kitigan Zibi.. Pour préparer mon projet d’écriture, l’autrice en moi a besoin d’entendre la voix de ces femmes. D’abord, être à leur écoute. Entendre ce qu’elles vivent, ce qu’elles ont vécu et ce qu’elles auraient voulu vivre. Ce sont leurs histoires que je souhaite entendre et qui inspirent mon sujet. C’est avec elles que je cherche à nourrir ma réflexion et aiguiser ma sensibilité afin élaborer un projet de création. Auprès d’elles je pourrai poursuivre ma réflexion et graduellement concevoir une démarche créative qui exprimera différentes facettes d’une question complexe. 

Ma recherche se veut d’abord une cueillette d’informations. Je suis une autrice qui s’inspire de témoignages et j’explore mon sujet au fur et à mesure des rencontres que je fais. Au fil des ans, j’ai développé une démarche d’écriture et un outil de prise de parole qui se sont articulés en de Grandes Cueillettes des Mots et qui ont aussi été éprouvés et reconnus ailleurs dans le monde. Ce projet explore de nouvelles approches qui me demandent de rester ouverte à l’inattendu et qui permettront certainement de faire progresser et d’enrichir cette démarche, ou d’aller vers une nouvelle façon de faire, si cela s’imposait.

« ACITC » veut dire « avec ». Avec une autre femme, Véronique Rankin, une femme anishinabe qui souhaite partager une autre histoire.

Il m’arrive souvent de penser à ma grand-mère, ma kitci mama (grand-mère), à son mode de vie, à son histoire de vie, à son amour pour la vie. 

Ma grand-mère a eu 18 enfants. 18 bébés presque tous nés dans le bois. En mode nomade. Quand je pense à sa vie, je me dis qu’elle devait être difficile, mais surtout belle. Dans ma tête je l’imagine travailler toute la journée à prendre soin de ses enfants, du campement, fabriquer des objets utiles pour leur vie, pour leur survie. Ma mère me raconte souvent qu’elle fabriquait leur vêtement, qu’elle cousait le soir pendant que tout le monde dormait pour habiller ses petits et son homme. Elle était une merveilleuse cuisinière ma grand-mère. Encore aujourd’hui, on prépare des petits plats sortis tout droit de son recueil de recettes qu’on se transmet dans la famille à cuisinant ensemble. Pas de livre de recettes à suivre… elle n’était pas capable d’écrire ma Kitci mama. Cette femme forte nous a légué quelque chose d’unique. Elle nous a transmis sa force de femme et sa force d’aimer… c’était sa recette la plus précieuse.

Si je pouvais lui parler aujourd’hui, je lui dirais que je m’efforce de lui faire honneur, faire honneur à sa vie. Je lui dirais que j’essaie de montrer à mes enfants les valeurs qu’elle m’a transmises, de leur accorder autant de temps et de leur donner autant d’amour qu’elle faisait avec moi et mes cousins et cousines. Ma Kitci mama prenait soin de nous, nous gâtait, nous chicanait, nous câlinait, nous ses petits-enfants. Elle comblait ce besoin que nos parents n’étaient pas toujours capables de nous offrir. Ma grand-mère a vu ses enfants partir pour le pensionnat un après l’autre. Elle les a vus revenir brisés, encore enfant, par ce système qui avait comme objectif de tuer l’indien dans l’enfant, dans ses enfants.

Si je pouvais lui parler aujourd’hui, je lui dirais que je ne peux pas comprendre la peine que ça dû lui faire. Je lui dirais que je voudrais prendre une partie de sa peine, de sa douleur de maman et de lui donner un peu de paix. Ma kitci mama aurait sûrement voulu les garder avec elle ses petits loups. Elle les aurait couverts de son amour et de sa bienveillance, elle leur aurait offert une vie sans traumas, sans tracas. 

Aujourd’hui, j’aimerais lui rendre hommage. Comment ? En racontant son histoire. Pourquoi ? Pour la remercier de tout ce qu’elle m’a donné, tout ce que j’ai reçu et tout ce que je continue de porter en moi… la remercier pour son héritage qu’elle nous a légué. Ma Kitci mama était une femme forte, une femme brillante, une femme aimante… tous les jours, j’essaie d’être un peu comme elle… c’est peut-être ça mon hommage que je lui fais… à son image, discrètement, mais intensément. C’est cela que je souhaite mettre à la lumière du monde.

Après 25 ans, je viens de quitter la direction artistique du Théâtre des Petites Lanternes dont j’ai été la fondatrice. J’amorce une nouvelle étape de mon parcours artistique où je souhaite me consacrer principalement à mes créations. Et la première de ce cycle est ACITC. 

Je ne sais pas ce que ce nouveau projet fera émerger, mais je suis convaincue que ce sera surement ma création la plus transformatrice parce qu’elle m’interpelle autant sur le plan personnel que sur le plan professionnel.

J’ai hâte et j’ai peur à la fois. Mais je suis ouverte à rencontrer, à écouter, à essayer, à prendre des risques, à ne pas savoir, à ajuster, mais surtout, à faire évoluer mon processus d’écriture.

 

Avec la collaboration de Paul, le regard de Véronique et la documentation de Matthew, je pourrai préciser mon point de vue, éclaircir mes idées pour élaborer mon processus d’écriture, identifier des collaborateurs possibles, le cas échéant afin de mieux définir les prochaines étapes de création dans le cadre de la deuxième étape.

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Ce site web a été développé par Anick Gagné avec la contribution de Matthew Gaines
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