
Ayiti, Pawòl Lapli
ak Lakansyèl
Année de création : 2013
Ayiti, Pawòl Lapli ak Lakansyèl (Haïti Mots de pluie et d’arc-en-ciel)
Ceci n’est pas un extrait de la pièce, mais l’histoire de certains ateliers d’écriture à Port-au-Prince. Dans la précarité du quotidien, au cœur de la fragilité et du courage, leurs voix se sont élevées, leurs mots ont porté la mémoire du désastre et la puissance de la survie.
Il s’avère essentiel d’écouter, d’honorer et de transmettre leur parole.
Extrait
Port-au-Prince, septembre 2010
À travers les Carnets de parole, 287 femmes, hommes et enfants haïtiens ont partagé leurs témoignages sur la vie après le séisme de janvier 2010.
Dans le grand camp de réfugiés ACRA, sous un abri de tôle où des dizainnes de femmes se sont rassemblées, Angèle Séguin avait à peine terminé de distribuer les Carnets de parole et sa collègue de ToTo B d’en présenter le sens, qu’une femme âgée, écrasée par la chaleur, posa ses mains sur son Carnet et s’adressa à Angèle :
Femme âgée
Regardez où vous êtes, regardez dans quelle situation nous sommes, vous, vous allez rentrer chez vous, nous, nous ne savons pas quand. Vous, qu’avez-nous à nous donner madame?
Angèle
Je n’ai rien à vous donner, madame. Non seulement je n’ai rien, mais j’ai besoin de vous. J’ai besoin de vos mots, de vos voix, de vos histoires et de votre regard sur Haïti, celui d’hier et aussi celui de demain. J’en ai besoin pour écrire une pièce de théâtre et, avec L’Atelier de théâtre ToTo B, pour les donner à entendre à tout le peuple haïtien.
Femme âgée
Beaucoup prennent nos mots et ils ne nous ressemblent plus.
Angèle
Nous viendrons jouer ici, je tiendrai parole et vous reconnaitrez vos mots. Je vous demande votre confiance.
Les femmes, les jeunes et moins jeunes prennent leur crayon, on n’entendrait plus rien. Plus que les crayons sur le papier dans un abri de tôle. Jusqu’à la noirceur. Puis, une femme se lève, la même qui a pris la parole au début s’adresse à moi.
Femme âgée
Personne n’a jamais écouté notre parole, mais nous allons prier pour vous madame, pour que nos mots soient entendus. Madame, nous allons prier pour vous, pour que vous veniez jouer ici pour nous.
D’un seul mouvement, toutes se lèvent. Un chant s’amorce, en polyphonie, comme une grande prière d’élévation!
D’un camp à l’autre, d’une école à l’autre, d’Haïti à Montréal, des voix s’élèvent après chacune de séances d’écriture comme une ode à l’espoir pour qu’enfin leurs paroles soient entendues. Libérer la parole oui, mais tenir parole d’abord !
Tenir parole n’est pas lié seulement au processus de la Grande Cueillette des Mots, mais à une vision de vie, une manière de créer et de travailler. C’est ce sur quoi la confiance se crée et la transformation peut s’amorcer.
Les écrivants n’étaient pas seulement celles et ceux qui avaient vécu le séisme. Il y avait aussi des techniciens, présents chaque jour sur le terrain. Au milieu de cette urgence, parmi les nombreuses organisations internationales et les familles encore à la recherche des leurs. Oxfam-Québec a aussi mis à la disposition de son personnel haïtien un atelier d’écriture favorisant l’expression et le partage d’expériences.
Ils étaient au cœur de toute cette action. Ils ressentaient le besoin de parler, de déposer ce qu’ils avaient vu, de nommer l’indicible. Dans le bruit léger des crayons sur le papier, certains ont arrêté d’écrire. Le regard vide, les larmes aux yeux.
Un grand apprentissage en est ressorti : si l’accès à l’eau était une urgence, le besoin de guérir l’était tout autant. Et cela demande du temps.

Atelier d'écriture
Mot d'Angèle
Raconter cette histoire,
Comme une histoire
Une histoire d’humanité, de dignité et de recréation
Il était une fois…
Ayiti, Pawòl Lapli ak Lakansyèl - Haïti Mots de pluie et d’arc-en-ciel
De porteurs d’eau à porteurs d’idées : La démocratisation de la parole
Dans un contexte d’urgence, de crise, où la parole est réprimée, où les citoyens ne sont pas entendus, où la guerre et la dictature ont muselé les voix, nous sous-estimons l’ampleur des blessures laissées dans le cœur des gens, des familles et des populations entières.
Nous voulons intervenir rapidement, alors qu’il faut prendre le temps. Le contexte d’urgence ne veut pas dire théâtre fait en urgence.
Si nous voulons remailler un tissu social et créer des liens pour faire en sorte que, peu importe les urgences qui surviendront, les gens seront mieux outillés à y faire face, il importe que les Arts nous permettent d’amorcer un réel dialogue avec eux, que leurs voix soient entendues.
Ainsi, ils sauront qu’eux aussi peuvent être plus que des porteurs d’eau, mais aussi des porteurs d’idées et des acteurs de changement. Leur parole doit être entendue, leurs actions peuvent faire la différence, leur contribution est souhaitée et ne sera plus sujette à la répression.
La mise en place de la création Ayiti, Pawòl Lapli ak Lakansyèl, en Haïti, s’est faite dans un contexte d’urgence postséisme. Un engagement dans la reconstruction d’une humanité blessée. Les leçons qu’on en tire dépassent les mesures d’accès à l’eau, elles sont universelles. En Haïti ce fut le séisme de janvier 2010. Ailleurs, cela aurait pu être la guerre, les luttes sociales ou la répression.
La Grande Cueillette de la Reconstruction – Haïti
À l’automne 2010, à la demande de ONE DROP et d’Oxfam-Québec et de concert avec l’équipe artistique haïtienne TOTO B, je me suis attablée à l’adaptation de La Grande Cueillette des Mots, qui deviendra La Grande Cueillette de la Reconstruction – Haïti.
De 2010 à 2012, nous avons mis en place les fondations de ce qu’allait devenir Ayiti, Pawòl Lapli ak Lakansyèl, la deuxième Grande Cueillette des Mots internationale après celle du Brésil.
Malgré les conditions éprouvantes, nous avons veillé à ce que la cueillette de récits se rende partout où une voix voulait se faire entendre. Ensemble, nous sommes allés à la rencontre des Haïtiennes et Haïtiens — jeunes et aînés, alphabétisés ou non, de toutes conditions. Qu’ils viennent des camps de Port-au-Prince ou des campagnes de Léogâne, toutes et tous ont été invités à confier leurs mots, leurs blessures, leur courage.
En octobre 2010, ligne après ligne, page après page, 287 Haïtiennes et Haïtiens nous ont fait entendre leur battement de vie après le séisme dans les Carnets de parole anonymes que nous leur avons distribués. Mille trois cent vingt-trois pages d’histoires ont été condensées puis confiées à une équipe de traductrices et traducteurs pour nourrir l’écriture finale du texte.

La Diaspora montréalaise
La maison Haïti fut en constant dialogue avec moi. Chaque année, nous sommes retournés le jour anniversaire du séïsme pour faire les suivis et transmettre ce qui se passe là-bas. La première année, à l’automne 2010, ce sont les écrivants de la diaspora de la Maison d’Haïti qui ont amorcé le processus d’écriture.
Dès janvier 2011, nous sommes retournés faire état des séances d’écriture.
En janvier 2012 ce fut les photos du spectacle qui leur ont été présentées
En janvier 2013, j’ai eu le plaisir de diriger une lecture de la pièce avec des artistes haïtiens de Montréal, parmi lesquels figurait Mireille Métellus, comédienne reconnue et profondément engagée auprès de la Maison d’Haïti. Le temps et la distance n’existaient plus. Il n’y avait qu’un peuple : le peuple haïtien en dialogue.
À Montréal comme en Haïti, tous ont souligné leur désir, en tant que citoyen, d’être partie prenante de la reconstruction. Si bien des embûches ont dû être surmontées, notamment celle de trouver de l’eau potable, leur sentiment d’appartenance à leur pays et à sa beauté est demeuré inaltérable.
Tant à dire. Tant à écrire. Tant à lire et à créer. Tant à entendre!

Spectacle Ayiti, Pawòl Lapli ak Lakansyèl
Résumé du projet de création
Ayiti, Pawòl Lapli ak Lakansyèl - Haïti Mots de pluie et d’arc-en-ciel, fut un grand défi humain et artistique pour porter à la scène, en Haïti post-séisme, les paroles citoyennes des Haïtiennes et des Haïtiens dans un spectacle qui fera entendre leurs voix.
Ayiti, Pawòl Lapli ak Lakansyèl, c’est écrire pour se guérir, pour contribuer à la reconstitution d‘un pays. De la Maison d’Haïti à Montréal, à Port-au-Prince, de Léogâne à Fond-d’Oie, nous avons fait des ateliers d’écriture là où les gens se trouvaient :
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Camps de réfugiés;
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Écoles primaires et secondaires;
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Université d'État d'Haïti (UEH);
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Dans la rue, sous les arbres, ou sur un amas de pierres…
Nous avons récolté 287 Carnets de paroles et 1323 pages ont été traduites, condensées et saisies à l’ordinateur. L’appui de six traductrices et traducteurs ainsi que de quatre secrétaires a été nécessaire pour cette réalisation.
Une structure dramatique adaptée à la culture et aux valeurs haïtitennes
La particularité de la Grande Cueillette des Mots est de tenter de porter à la scène la parole brute des gens. Il s’agit de trouver une trame dramatique pour inclure ces mots en tenant compte de la culture et des valeurs haïtiennes.
Pour y arriver, l’Atelier ToTo B a suggéré de travailler avec des personnages de la mythologie haïtienne qui pourraient être actualisés. Bwa piwo, grenn pwomennen et La Fanm Dlo ont été rapidement identifiés. C’est autour de ces trois personnages principaux que s’est articulé la structure dramatique du texte. L’écriture a nécessité deux mois de travail. Avec l’équipe artistique Haïtienne, nous avons fait maintes lectures du texte pour faciliter l’ordonnancement. Avec Dieuvéla Étienne, directrice générale et artistique de l’Atelier TOTO B, nous avons finalisé l’écriture de Ayiti, Pawòl lapli ak lakansyèl.
Porter à la scène les paroles citoyennes des Haïtiennes et des Haïtiens dans un spectacle qui fera entendre leurs voix à la fois en créole et en français, tel fut le défi de Dieuvéla.
« Ici en Haïti, on peut pleurer la première journée et ensuite on en n’a plus la permission »
« Il s’agit d’un spectacle complètement haïtien : texte, présentation, messages; c’est nous, c’est notre histoire à nous.
Je reconnais mes mots »
« Enfin, J’ai eu le droit de pleurer »
« Notre parole a vraiment été entendue. Ce spectacle est un baume sur notre chemin de guérison »
« On peut rebâtir Haïti »
« Les messages, ça renouvelle la mémoire et c’est important de renouveler la mémoire »
Commentaires d’écrivantes, d’écrivants ainsi que de spectateurs et spectatrices
Le peuple haïtien a été au rendez-vous.
Ils nous ont livré leur parole
Et nous avons tenu parole
Entre 2011 et 2013, malgré tout le contexte post-séïsme,
il y eu plus de 225 représentations en milieu urbain et en milieu rural.
Près de 65 000 haïtiens et haïtiennes ont été au rendez-vous
Tenir parole change la façon de penser des gens. Ils ont vu dans un court laps de temps des résultats.
Et les résultats parlent aux gens.





Crédits :
Co-directrice artistique et co-autrice: Angèle Séguin
Co-autrice et metteuse en scène : Dieuvéla Etienne
Traducteurs et traductrices : Georges E. Allen, Jean Gardy Estime, Justa Morestin, Florence Gresseau, Rose Fabiola François, Woodly Ketan avec la participation de Dieuvéla Etienne et Manoucheka Ketan
Distribution :
Pascal Joseph, Joane Louijeune, Sandra Dagrin, Soune Wildine Meus, Martine Fidèle, Yves Muscadin
Distribution :
Avec la contribution des collaborateurs artistiques : la Cie TIZA-Théâtre, l’Atelier Théâtr’Action et l’Institut National des Arts de Kinshasa
Direction technique : Michel Charbonneau
Technicienne et Régie du spectacle : Sherline Alexis
Montage : Alphonse Paul Gary
Directrice administrative : Manoucheka Ketan,
Les partenaires :
One-Drop, Montréal
Oxfam-Québec, Montréal
Atelier ToTo B, Port-au-Prince, Haïti
Ayiti, Pawòl lapli ak lakansyèl - Haïti, Mots de pluie et d’arc-en-ciel n’aurait pu se réaliser dans le difficile contexte post-séisme sans la contribution de collaborateurs artistiques chevronnés qui se sont joint au projet : Ruth Pierre-Canel d’Artisanes du monde - Cirque du Soleil, Yvan Côté du Théâtre de l’Aubergine et Sara Rénélik, danseuse haïtienne
Le Comité de pilotage :
Paul Laporte, Marie-Josée Deblois, Danielle Valiquette, Martine Gagné (One-Drop)
Marion Turmine, Yves Gattereau (Oxfam-Québec)
Angèle Séguin (Théâtre des Petites Lanternes)
Dieuvéla Étienne, Manoucheka Ketan (L’Atelier ToTo B)
Une production : Atelier ToTo B et Théâtre des Petites Lanternes, 2012

Spectacle Ayiti, Pawòl Lapli ak Lakansyèl
« L'aide humanitaire ne se limite pas à la nourriture et aux soins médicaux. Parfois, le plus important est de redonner la parole aux citoyens qui vivent des moments difficiles »
Ayiti, Pawòl lapli ak lakansyèl a fait l’objet d’une recherche, d’une documentation et d’une évaluation d’impact de l’Art social par la firme NSM