La Grande Cueillette des Mots
La Grande Cueillette des Mots (GCM) est une démarche de création unique initiée par Angèle Séguin
Mot d'Angèle
La Grande Cueillette des Mots
C’est Oser.
Oser ne pas savoir.
Oser plonger, sans filet, dans les profondeurs d’un inconnu fécond.
Telle est l’exigence d’entrée dans ce processus étrange et magnifique où le cœur s’ouvre, vulnérable, à ce que jamais nous n’aurions cru dire. Ni faire.
Car dans chaque mot confié, dans chaque fragment d’âme murmuré, se révèle une vérité intime… et pourtant, universelle.
Ici, l’intime devient miroir du monde.
Il y a là, dans cette démarche, quelque chose de plus vaste que nous. Une force. Une présence. Un souffle sacré.
On ne cueille pas des mots comme on cueille des fleurs.
On reçoit une offrande. Une part brûlante et fragile de l’humanité.
Ce processus n’est pas qu’un chemin vers une œuvre — il est lui-même œuvre.
Un dialogue ardent entre artistes et citoyens, entre le dit et le tu, entre la confidence et le cri.
Chaque nouvelle Grande Cueillette des Mots est un rite de passage.
Elle nous déplace. Elle nous dérange. Elle nous ébranle.
Elle nous pousse, sans ménagement, hors des refuges connus — artistiquement, humainement.
Et avec rigueur — car il faut de la structure pour que la vérité tienne debout.
Et avec ouverture — car sans elle, impossible d’écouter véritablement.
Rigueur pour ne pas trahir. Pour ne pas plier les mots des autres à la forme de notre désir.
Ouverture pour laisser tomber les filtres. Nos biais. Nos certitudes.
Car ici, on ne transforme pas, on ne digère pas — on honore.
On cherche le ton juste, le fil fragile entre les voix qui s’élèvent et la nôtre, entre les multiples vérités et notre propre regard.
On invente une manière collective de faire œuvre. Chaque création devient un choral d’identités, une œuvre à plusieurs mains et à plusieurs voix.
Les Grandes Cueillettes des Mots passées nous l’ont appris : ce travail est un défi.
Mais c’est précisément là que naît l’étincelle artistique, là que s’approfondit l’expérience humaine.
Libre et responsable.
Plus de 160 000 personnes, aux quatre coins du monde,
ont pris part à cette aventure artistique, humaine, sociale et politique
une aventure où chaque mot compte,
où chaque voix trouve enfin sa place.

L’historique de la GCM
Issu d’un cheminement dramaturgique ancré dans la représentativité des voix citoyennes, La Grande Cueillette des Mots est une démarche de création unique initiée par Angèle Séguin, autrice et metteuse en scène, et développée au fil de ses années de recherche au Théâtre des Petites Lanternes.
À la fois nourrie par de riches collaborations internationales et de ses pratiques avec le Théâtre de l’Opprimé, cette démarche se déploie comme un geste artistique et politique, où la parole citoyenne devient le moteur de la dramaturgie.
À partir des Carnets de parole recueillis auprès de citoyennes et de citoyens, le travail d’écriture débute par l’élaboration d’une trame dramatique vivante, où chaque témoignage devient un levier de tension, d’émotion ou de bascule.

Les étapes de la GCM
La Grande Cueillette des Mots s’appuie sur une démarche artistique claire, des valeurs éthiques fortes et des étapes bien définies. Ce processus original est protégé par un brevet, mais peut être transmis à toute personne désireuse de s’y engager dans le respect de ses fondements.



1. La mise en place des partenariats
Une création menée avec le processus de la Grande Cueillette des Mots repose sur un engagement partagé entre la direction artistique, les organismes partenaires et les personnes du milieu ayant exprimé un intérêt pour la démarche.
Ensemble, identifier les membres du Comité de pilotage.
La composition du Comité de pilotage
Le Comité de pilotage peut être formé de 10 à 15 personnes, selon la nature du projet.
Les membres du Comité de Pilotage sont identifiés par les partenaires du milieu lors de la mise en place du projet.
Le Comité de Pilotage est un Comité de vision et de stratégie composé de personnes qui possèdent un réel leadership dans leur communauté.
Les membres sont des personnes préoccupées par les différentes réalités et difficultés que vivent leur communauté et elles cherchent à y apporter des solutions durables.

2. Le Comité de pilotage
La désignation « comité de pilotage » n’a pas émergé d’emblée, et elle ne constitue pas forcément la terminologie la plus appropriée dans tous les contextes.
Le nom donné à ce groupe de collaboration doit résonner avec la culture et les valeurs de l’organisation partenaire et s’ajuster à la dynamique propre à chaque démarche de création.
Quelle est la contribution des membres du Comité de pilotage?
Angèle Séguin a souhaité faire du Comité de pilotage de véritables partenaires de la création. Leur contribution vise à :
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Éclairer le choix du thème du Carnet de parole
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Éclairer le choix des groupes d’écrivantes et écrivants
Ainsi que les partenaires du milieu pour :
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Identifier les problématiques relevées par le milieu
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Identifier les projets émergents susceptibles de contribuer à mettre en place des solutions concrètes et durables pour répondre aux besoins identifiés.
Leur participation vise également à appuyer leurs instances respectives en les aidant à déterminer quel type de collaboration pourrait être envisagée avec les partenaires à l’origine du projet, afin de l’accompagner dans la poursuite et le développement de leur initiative.
Quand la participation du Comité de pilotage est-elle requise?
Les membres du Comité de Pilotage sont réunis lors des moments forts du projet, les principales périodes identifiées sont les suivantes :
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Lancement du projet
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Réflexion sur la thématique du Carnet de Parole
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Réseautage et identification des groupes d’écrivantes et écrivants
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Contribution à la condensation des Carnets de Parole
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Lancement du spectacle
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Évaluation finale du projet
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Tout autre moment jugé opportun pour faire avancer le projet
Les membres du Comité de Pilotage s’engagent bénévolement : elles et ils croient dans le projet. En participant, les membres sont convaincus que leur contribution et leurs expériences, conjuguées les unes aux autres, seront porteuses de développement, tant pour leur communauté ou institution que pour chacun d’entre eux.
3. La création du carnet de parole
Le Carnet de parole a évolué au fil des ans pour devenir un véritable outil de création pouvant être adapté à tous les contextes d’écriture et peu importe la langue.
Adapté à chaque nouvelle œuvre, le Carnet de parole propose une ligne directrice qui oriente le geste d’écriture. Chaque page offre des amorces pour éveiller et faciliter l’élan d’écriture.
Il ne s’agit ni d’un sondage ni d’une consultation, mais d’un acte d’écriture à la fois intime et collectif : une manière de faire émerger une parole brute, évocatrice et libre des écrivantes et des écrivants qui viendra nourrir la création.
Un premier prototype est expérimenté avec le Comité de pilotage et avec quelques groupes issus du milieu ciblé. Cette phase d’essai permet d’affiner le Carnet, jusqu’à l’obtention d’une version finale.
Le réseautage pour la distribution des Carnets de parole
Le maillage humain est au cœur du déploiement des Carnets de parole.
Le succès des ateliers d’écriture repose en grande partie sur une stratégie de maillage bien ancrée dans le territoire. Pour en poser les fondations, Angèle Séguin a travaillé en étroite collaboration avec Sylvia Rolfe, alors directrice des liens avec la communauté au Théâtre des Petites Lanternes. Forte de sa connaissance du milieu communautaire, de sa vision sensible de la participation citoyenne et de son souci constant de représentativité, Sylvia a joué un rôle clé dans la mise en place des ateliers et dans la circulation des Carnets de parole.

La distribution des Carnets se déploie avec l’appui du comité de pilotage et des partenaires locaux, qui dressent une véritable cartographie humaine du territoire à rencontrer. Ensemble, ils identifient les groupes, les lieux significatifs, et tissent les liens nécessaires pour assurer une diffusion vivante, respectueuse et inclusive.
4. Les écrivantes et les écrivants
Angèle Séguin s’est inspirée des réflexions menées avec le Théâtre l’Artifice notamment autour de la distinction essentielle entre l’écrivain et l’écrivant.
Ici on ne parle pas d'un acte d’écrivain, mais de poser un geste d’écriture. Ce que nous sollicitons de chaque personne, c’est une première page — un élan.
L’invitation est simple : éveiller le désir d’écrire, offrir des repères pour que la parole puisse émerger librement. Ce n’est ni un sondage, ni une démarche sociologique, mais un acte créatif.
Dans cet espace, il est possible accueillir toute personne interpellée par la thématique, désireuse de devenir, le temps d’un instant, une citoyenne écrivante ou un citoyen écrivant d’une œuvre en devenir.

5. La Cueillette (atelier d’écriture)
Les ateliers d’écriture sont le reflet vivant du processus de création. Chaque atelier doit être animé avec soin par des personnes par des animatrices et animateurs formés pour l’occasion. Leur rôle est d’accompagner les écrivantes et les écrivants avec bienveillance, en facilitant l’émergence d’une écriture libre et sincère.
Déroulement d’un atelier
Aller à la rencontre des écrivantes et des écrivants est une chose, faire en sorte que ces rencontres invitent à l’écriture en est une autre. La durée, l’atmosphère, l’animation, tout doit être au rendez-vous pour créer un climat de confiance.
D’abord, créer un cadre sécurisant pour une parole libre. Les ateliers d’écriture s’ouvrent par une présentation claire de la démarche et de ses intentions.
L’objectif est expliqué avec soin, tout comme le principe fondamental de l’anonymat :
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chaque carnet est confidentiel
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aucune signature n’est requise
Cette confidentialité crée un espace sécurisant, propice à l’expression libre, sans crainte ni jugement.

Nous encourageons l’unique manière dont chacun et chacune raconte, dans ses mots, ses silences, ses images. Les histoires n’ont pas à être parfaites, seulement vraies. Alors, tout doucement, s’installe la magie et le silence du dialogue intérieur de chaque personne s’inscrit sur le papier.
Pour celles et ceux qui en ressentent le besoin, une animatrice ou un animateur est présent pour accompagner l’écriture avec délicatesse et respect.



À la fin de chaque atelier, les écrivantes et écrivants déposent leur Carnet de parole dans une enveloppe que l’animatrice ou l’animateur scellera soigneusement à la fin. Ce geste symbolique et concret marque l’engagement à préserver la confidentialité des paroles confiées, de reconnaître la valeur de chaque mot livré, de chaque histoire déposée — et d’en prendre soin.
La formation des animatrices et animateurs des ateliers d’écriture
Lorsque sa présence n’est pas possible, Angèle Séguin confie l’animation des ateliers d’écriture à des personnes étroitement liées au projet, choisies pour leur capacité à accompagner le processus avec sensibilité et justesse.
Ces personnes doivent :
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saisir en profondeur la nature de la démarche;
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se sentir à l’aise avec les outils proposés;
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avoir une compréhension fine du projet pour créer un cadre accueillant, respectueux et propice à l’émergence des voix.
C’est pourquoi, si besoin, à chaque nouvelle création, une formation spécifique leur est offerte. Elle permet de partager les fondements du projet, d’en affirmer les valeurs communes et d’harmoniser l’animation des ateliers à la singularité du processus.
6. La traduction des Carnets de parole
Dans les projets multilingues, une équipe de traductrices et traducteurs est mobilisée en amont de la Condensation pour assurer la traduction fidèle des Carnets de parole.
Ce travail délicat vise à préserver la singularité de chaque voix tout en rendant accessibles les récits au sein de l’équipe artistique et du comité de pilotage. Il ne s’agit pas seulement de traduire des mots, mais de transmettre une sensibilité et un rythme afin que chaque histoire continue de résonner, quelle que soit la langue dans laquelle elle est lue.

7. La Condensation des Carnets de parole
La condensation est un travail rigoureux guidé par des lignes directrices précises.
Les indispensables de la condensation
La Condensation exige un temps de travail soutenu, généralement réparti sur 8 à 10 jours.
Pour garantir la fluidité et la profondeur de ce processus exigeant, il est essentiel de prévoir un lieu :
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dédié, calme et sécuritaire
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où il est possible de se réunir quotidiennement
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où l’ensemble du matériel — Carnets, extraits, annotations — peut être conservé sur place en toute sécurité durant toute la durée de la démarche.
Le fonctionnement de la condensation
Afin d’éviter de porter des jugements, de ne pas interpréter, un petit guide existe afin de faire de la condensation un exercice « inclusif » de toutes les paroles reçues.
Cet outil vise à faire attention notamment aux jugements, aux idées moralisatrices ou à des récits purement anecdotiques. Écrites d’abord au « Je » dans les Carnets, ces paroles offriront un regard à la fois intime et collectif. Tissées les unes aux autres, elles serviront à construite l’œuvre finale.
Ensemble, ils repèrent et extraient les fragments les plus évocateurs : des paroles saisissantes, des images puissantes, des aveux fragiles, des éclats de vérité.
Chaque Carnet de parole comprend en moyenne six pages d’écriture. Selon l’envergure du projet, entre 200 et 800 carnets peuvent être distribués, ce qui représente de 1 200 à 4 800 pages de récits à accueillir et à condenser.

8. L’écriture de l’œuvre
Pour Angèle Séguin, les paroles recueillies lors des ateliers d’écriture dépassent les simples témoignages personnels pour offrir un reflet de notre humanité partagée.
Le travail d’écriture doit préserver la force vive des paroles issues des Carnets tout en leur offrant une structure dramaturgique qui les révèle, les relie et les fait résonner collectivement.
Écrire un texte dans la démarche de La Grande Cueillette des Mots, c’est vivre pendant des mois avec les paroles récoltées, en juxtaposant les mots les uns aux autres. C’est laisser les voix multiples dialoguer entre elles. En les reliant, une interaction se forme : une question, une réponse, un échange. Des échos et des silences émergent.
Peu à peu, des personnages apparaissent, des situations se détachent, des fils narratifs se tissent. Les carnets ne livrent pas une histoire préfabriquée, mais offrent des fragments d’une trame pour la créer.
La force de La Grande Cueillette des Mots est d’assembler ces paroles brutes pour créer une œuvre sans en altérer le sens. Peu à peu s’établit un fil, se dessine une structure, se définissent des personnages. Une courtepointe finement cousue, jusqu’à ce que le texte final devienne fluide, que les couture deviennent invisibles et que tout semble être naturellement fait pour s’harmoniser.
C’est l’organisation du récit qui trace un chemin pour que les voix multiples puissent coexister et se répondre dans une même respiration théâtrale.


9. La recherche-création et production
En cohérence avec la démarche de La Grande Cueillette des Mots, le texte qui est issu du processus de condensation est remis à l’équipe artistique.
Cette équipe prend le relais pour en explorer la mise en forme scénique. Cette étape engage une recherche sensible des langages de la scène :
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lectures exploratoires
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expérimentations de propositions scéniques
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répétitions
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élaboration progressive de la mise en scène
Notre intention est de créer une expérience théâtrale ancrée à la fois dans l’acte artistique et dans l’engagement citoyen. Une forme vivante, profondément humaine, qui fait résonner les voix recueillies dans toute leur portée symbolique, leur pouvoir d’évocation, leur potentiel de transformation et leur capacité à ouvrir de nouveaux imaginaires collectifs.

10. La préparation des autres outils de sensibilisation et d’animation autour du spectacle
La participation citoyenne se tisse en amont et autour du spectacle, à travers une diversité d’ateliers menés dans les différents milieux traversés.
Ces ateliers sont des espaces de création partagée qui permettent de prolonger la parole des Carnets à travers de petits événements locaux — expositions, installations, cercles de parole, performances, etc.
Inspirées par la thématique du spectacle et développées avec le comité de pilotage et les partenaires culturels, ces initiatives offrent aux citoyennes et citoyens de nouveaux moyens de faire entendre leur voix et de s’impliquer activement dans la vie culturelle locale.
Ensemble, la diversité des initiatives crée un espace vivant autour de la représentation, transformant chaque soirée théâtrale en un moment de rencontre élargie, ancré dans le territoire et porteur de mémoire collective.

11. Le Spectacle et la diffusion
Le spectacle est ce moment où toutes ces voix prennent vie et résonnent.
Pour les artistes, c’est l’occasion d’offrir un accès sensible et bouleversant à des fragments de la condition humaine — universels, incarnés. C’est faire écho, avec justesse, à la réalité de celles et ceux qui ont livré leurs paroles, et à celles et ceux à qui elles sont destinées.
Pour les spectatrices et spectateurs, c’est entendre le souffle de leurs propres histoires et ressentir — peut-être pour la première fois — qu’ils ont été vraiment entendus.
L’organisation du spectacle : l’importance de la collaboration
Le nombre de représentations et les lieux de diffusion sont déterminés par une collaboration étroite entre le comité de pilotage, les diffuseurs locaux et l’équipe de réseautage. Cette démarche participative permet de garantir que le projet atteigne son public de manière ciblée et significative.
Le comité de pilotage joue un rôle crucial dans la sélection des lieux, en tenant compte de la spécificité de chaque territoire, de ses enjeux culturels et sociaux, ainsi que de ses besoins. Ensemble, avec les diffuseurs locaux, ils identifient les espaces les plus adaptés pour accueillir la création, en fonction de la taille des publics visés et des ressources disponibles.
L’équipe de réseautage, quant à elle, facilite la mise en relation avec d’autres institutions culturelles, associations et partenaires communautaires afin de maximiser l’impact du projet. Elle contribue à élargir les horizons de diffusion, en établissant des liens avec des lieux moins conventionnels, mais tout aussi pertinents, comme des centres communautaires, des lieux de rencontre ou des espaces publics.



12. Garder l’œuvre vivante dans un contexte en mouvement
Même si l’œuvre est nourrie de la parole de centaines d’écrivantes et d’écrivants, elle a été créée dans un contexte précis, à un moment donné.
Or, avec le temps et les représentations, ce contexte peut évoluer. Pour Angèle Séguin, il est impératif de rester attentif à ces changements.
La médiation culturelle
Si le texte du spectacle, issu des Carnets de parole, ne peut être modifié, car il témoigne d’un contexte, d’une voix et d’un moment précis, la médiation culturelle, elle, demeure une matière ouverte. Elle devient un geste artistique en soi.
À travers cette médiation, il est essentiel de rester à l’écoute du contexte dans lequel l’œuvre est présentée afin de s’assurer de créer des passerelles entre la parole recueillie et les enjeux actuels des communautés.
C’est une manière de redonner souffle et espace à la parole citoyenne, en la faisant dialoguer avec le présent. Cette démarche enrichit non seulement le spectacle, mais elle nourrit aussi les liens entre l’œuvre et les publics. Elle donne naissance à des lieux de rencontre symboliques, à des formes de cocréation qui prolongent l’élan artistique au-delà de la scène.
Ainsi, chaque représentation dépasse le simple geste de diffusion : elle devient pour Angèle Séguin un acte de continuité créatrice. Sa présence active s’inscrit dans un processus vivant, où l’écoute attentive des contextes vise à faire résonner l’œuvre au plus près des publics et des réalités qui l’accueillent.

L’évolution du Carnet de parole
À ces débuts, le Carnet de parole était un outil simple, sans direction précise.
Lors de la première Grande Cueillette des Mots, en 2007, intitulée La Grande Cueillette des Mots, c’est pas des paroles en l’air, le titre portait une intention claire : souligner que les paroles recueillies seraient intégrées intégralement au cœur de l’œuvre finale.
Les premiers Carnets de parole étaient structurés autour de plusieurs thèmes distincts, définis en collaboration avec les porteurs et porteuses du projet. Chaque page explorait une facette particulière du vécu collectif. Des fenêtres sur des récits personnels, sincères et touchants, mais sans véritable fil conducteur. L’œuvre ressemblait davantage à une collection d’histoires fragmentées, sans écho entre elles. Cette forme éclatée, bien que riche, ne permettait pas de faire émerger un texte dramatique solide. Il manquait une ligne directrice, une progression.
C’est en 2015, à la suite de l’invitation de l’équipe de rétablissement de Lac-Mégantic, que les choses ont véritablement pris un tournant. La ville de Lac-Mégantic, profondément marquée par la tragédie ferroviaire de juillet 2013, entamait alors un long processus de guérison collective. Cette nouvelle création a poussé Angèle Séguin à repenser en profondeur la structure du Carnet de parole. Elle a fait appel à Paul Lefebvre, conseiller dramaturgique au Centre des auteurs dramatiques, afin d’explorer de nouvelles pistes permettant de développer une dramaturgie adaptée à La Grande Cueillette des Mots.
Avec le Comité de pilotage de Lac-Mégantic, elle réussit à faire émerger un thème central pour le Carnet de parole : les repères. Un thème qui visait à ce que toutes et tous, qu’ils aient été directement touchés par la tragédie ou non, puissent y contribuer.
Le Carnet de parole est entièrement repensé. Chaque page a été conçue comme une étape d’un parcours temporel — passé, présent, futur — en y intégrant des amorces d’écriture destinées à faciliter la parole. Cette nouvelle forme permettait aux écrivantes et écrivants de situer leurs récits dans une trame narrative historique, de raconter leurs histoires, de parler de leurs blessures et des défis traversés, mais aussi d’évoquer les forces qui les habitaient, leurs espoirs ainsi que leurs rêves.
Ce changement de structure a constitué un véritable point de bascule. Il a permis l’émergence d’une dramaturgie plus solide, plus fluide, capable de faire naître un fil narratif cohérent au cœur de la diversité des voix. La ligne temporelle est devenue l’élément central et fondamental. Elle offrait désormais une grande flexibilité, permettant au Carnet d’aborder une diversité de thèmes. En même temps, elle assurait l’intégration de ces voix variées dans un texte dramatique solide et cohérent.
La dramaturgie de GCM
Tisser des histoires à partir des voix citoyennes
Au départ, Angèle Séguin était très soucieuse de préserver la parole brute. Sur scène, les comédiens lisaient directement les textes des Carnets. Il s’agissait d’une forme de purisme. Rapidement, elle se rend compte que cela ne suffit pas à créer un texte dramatique puissant. C’était une succession de lectures, parfois longues. Le besoin de construire de véritables figures narratives se faisait impératif.
Après Sherbrooke, Haïti et le Brésil, il lui est devenu clair que La Grande Cueillette des Mots (GCM) ne pouvait pas se contenter d’un enchaînement d’extraits. Nous sommes au théâtre. Il fallait trouver le moyen de raconter une histoire. Comment relier tous ces mots venus d’horizons différents sans trahir leur essence ? Comment faire émerger, à partir de cette parole brute, une ligne dramatique cohérente?
Une collaboration avec Paul Lefebvre
La création du Carnet de parole et l’écriture de Comme un grand trou dans le ventre marque la première collaboration entre Angèle Séguin et Paul Lefebvre, conseiller dramaturgique.
Paul Lefebvre a réussi à saisir parfaitement la nature du projet et comprendre chaque étape de ce processus singulier. Son rôle : s’imprégner du sujet, écouter attentivement ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. Avec respect, audace et lucidité, il accompagne Angèle Séguin dans une exploration sensible du matériau recueilli.
Ensemble, ils repèrent la diversité des idées, les parcours contrastés, les contradictions qui émergent des Carnets de parole. Leur défi commun : organiser cette matière vivante selon une logique théâtrale, sans altérer la richesse des voix entendues, pour donner naissance à une œuvre théâtrale à la fois fidèle, porteuse de sens et profondément humaine.
La Grande Cueillette des Mots un exemple de dramaturgie sociale
C’est le professeur Ney Wendell, de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, qui a été le premier à poser un mot sur la singularité de l’approche développée par Angèle Séguin : la dramaturgie sociale.
Dans une étude entièrement consacrée à cette démarche, il explore en profondeur l’écriture scénique née de la rencontre entre l’autrice et les citoyennes-écrivantes et les citoyens-évricants dans le cadre de La Grande Cueillette des Mots. Il y retrace les étapes de création d’un texte dramatique issu de la parole vivante, et analyse la posture dramaturgique d’Angèle Séguin : une écriture ancrée, partagée, façonnée par le réel.
Il en ressort une dramaturgie du lien, de l’écoute et de l’engagement, où la scène devient l’écho sensible d’une mémoire collective.
Pour consulter cette recherche : Ney Wendell, Pour une dramaturgie sociale : La démarche créative des citoyens dans le projet La Grande Cueillette des Mots, GRET – Groupe de Recherche sur l’Enseignement du Théâtre.